Le futur texte de loi sur les noms de domaine en .FR, actuellement soumis aux parlementaires, illustre la difficile association entre droit des marques et droit des noms de domaine. Il soulève, dans sa rédaction provisoire, un certain nombre de difficultés risquant de porter atteinte à la cohérence du droit des marques, qui doit absolument être préservée.
Le futur texte de loi sur les noms de domaine en .FR, actuellement soumis aux parlementaires, illustre la difficile association entre droit des marques et droit des noms de domaine.
Suite à la décision du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2010, un nouveau texte de loi devra remplacer au 1er juillet 2011 l’actuel article L. 45 du Code des Postes et Communications Electroniques (CPCE). Le texte proposé à la discussion est issu de l’amendement Tardy au projet de loi N° 3036 sur l’adaptation de la législation au droit de l’Union Européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques. Il soulève, dans sa rédaction provisoire, un certain nombre de difficultés risquant de porter atteinte à la cohérence du droit des marques, qui doit absolument être préservée.
Quelle mission pour le législateur ?
En demandant au législateur de définir les règles d’attribution, de retrait et de renouvellement des noms de domaine en .FR, le Conseil constitutionnel a défini l’objectif de la loi. L’amendement Tardy regroupe les textes d’ores et déjà en vigueur, pour la plupart intégrés dans la partie règlementaire du CPCE. Cette méthode a pour avantage d’être cohérente avec le système actuel et, en particulier, avec la charte de nommage du .FR, qui a été la première norme applicable au .FR.
Le législateur pourrait aller plus loin, notamment car une partie de ces textes date du projet de loi sur la société de l’information de 2001 (Projet n° 528 du 15 janvier 2003, article 5) et que l’occasion lui est aujourd’hui donnée de tenir compte des évolutions et de l’expérience acquise ces dernières années.
Le mode de règlement des différends : les critères retenus
Le texte en projet introduit une procédure inspirée de l’opposition existant en droit des marques, qui permet aux titulaires de droits de s’opposer à un nouvel enregistrement. La difficulté réside dans les critères prévus pour analyser et régler les conflits « Sous réserve du principe de spécialité, un nom identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle par les règles nationales ou européennes ne peut être choisi pour nom de domaine, sauf si le demandeur a un droit ou un intérêt légitime à faire valoir sur ce nom et agit de bonne foi ». Cette rédaction reprend le texte de l’actuel article R. 20-44-45 du CPCE, dont la rédaction était déjà critiquable, en y ajoutant « Sous réserve du principe de spécialité ». S’il est vrai que cet ajout a certainement pour objectif de clarifier le texte actuel, en réalité, il persiste à associer droit des marques et droit des noms de domaine, au risque de dénaturer le concept de contrefaçon de marque.
L’article R. 20-44-45 du CPCE a conduit à la création de la procédure PREDEC (Procédure de résolution des cas de violation manifeste des dispositions du décret du 6 février 2007), critiquée car jugée trop peu transparente. Cet article a également été invoqué par des demandeurs devant les tribunaux, avec l’exemple de l’affaire Sunshine.fr, qui a abouti à un arrêt de cassation du 9 juin 2009 et qui a ouvert le débat sur la discordance entre droit des marques et droit des noms de domaine.
L’exception de bonne foi n’existe pas en droit des marques
Le texte proposé continue à associer le raisonnement sur la contrefaçon de marque au concept d’enregistrement de nom de domaine spéculatif et abusif issu des règles UDRP (Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy). Il s’agit des règles créées à l’initiative de l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) pour régler les litiges internationaux entre marques et noms de domaine, qui ont été reprises par la plupart des procédures extrajudiciaires destinées à régler les litiges entre marques et noms de domaine.
Résultat, le demandeur titulaire de droits doit prouver l’atteinte à ses droits, selon les critères classiques de la contrefaçon de marque, tandis que le titulaire du nom de domaine peut contester et faire échec à cette action en invoquant son droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine, ainsi que sa bonne foi. Il s’agit donc d’une exception à la contrefaçon de marque, puisque la bonne foi est inopérante en matière de contrefaçon de marque. Le droit des marques comporte déjà des exceptions à la contrefaçon de marque. S’il doit être créé une exception, c’est dans l’article L. 713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) qui y est consacré, qu’elle trouverait sa place.
Le risque de perte de cohérence du droit des marques
Le droit des noms de domaine ne peut exister isolément du droit des marques, au risque de négliger les titulaires de marques et de créer des procédures pour les noms de domaine à partir de critères compliqués, difficiles à appliquer et donc peu sécurisants. Plutôt que d’associer des mécanismes fondamentalement différents, pourquoi , par exemple, ne pas reprendre le grief d’atteinte à un droit de propriété intellectuelle, en faisant référence aux règles définies par le Code de la Propriété Intellectuelle et ajouter un fondement, distinct et autonome, qui reprenne les règles issues de la procédure UDRP, destinée à sanctionner les pratiques de piratage ?
La cohérence du droit des marques doit absolument être préservée : il s’agit du droit le plus fort et le plus établi, tant au niveau national qu’international. Le droit des marques a, en effet, donné lieu très tôt à la négociation d’accords internationaux et est harmonisé, depuis une vingtaine d’années, au sein de l’Union Européenne. C’est un facteur de cohésion et d’intégration qu’il faut préserver.
Marie-Emmanuelle Haas
Source: Journal du Net