Le nom du plus célèbre logiciel de traitement d’images est né à Marseille, il y a 44 ans. Au grand dam du géant Adobe Systems
D’un côté, Jacques Colletti, artisan-photographe à Marseille depuis 44 ans, et bientôt retraité. De l’autre, Adobe Systems, mastodonte californien du logiciel de traitement d’images, avec ses 7600 salariés et ses 3,6 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Entre eux, aucun point commun, si ce n’est un nom commercial dont tous deux revendiquent, sinon la paternité, à tout le moins la propriété : Photoshop. Dans cette version moderne de David et Goliath, le champion du software semble de prime abord bien mieux armé que son adversaire. Sauf que Jacques Colletti, 66 ans cette année, a accroché l’enseigne de sa boutique marseillaise au printemps 1966.
À l’époque, Adobe Systems était encore dans les limbes. Fondée en 1982, l’entreprise implantée à San Jose, Californie, accuse ainsi 16ans de retard sur l’artisan phocéen dans l’utilisation du nom Photoshop. La première version de son célébrissime logiciel de traitement d’images est en effet apparue en 1989 aux États-Unis. Un an plus tard, ce produit révolutionnaire débarquait en France. « Quand je l’ai découvert, dans le cadre de mon activité, j’ai tout de suite été bluffé« , se souvient Jacques Colletti. Bluffé et séduit. Y compris par le nom de ce nouveau programme à triturer les photos. « Un logiciel génial qui s’appelait comme mon magasin, je trouvais ça plutôt flatteur« , avoue l’artisan marseillais.
Pas procédurier pour un rond, il écarte même toute idée d’action judiciaire contre l’entreprise américaine, comme le lui suggérait pourtant un ami juriste. « Entre eux et moi, y’avait pas photo, si j’ose dire, sourit Jacques Colletti. Outre que je n’en avais pas forcément les moyens, j’avais d’autant moins envie de les attaquer que leur logiciel était une espèce de miracle qui me faisait gagner un temps fou par rapport aux techniques classiques de retouche photo. »
Six ans plus tard, l’avènement d’internet sur la scène grand public interpelle Jacques Colletti. Pour développer sa clientèle, faire connaître son travail et jouer la carte techno-moderne, il crée un site internet, photoshop.fr, après avoir acheté ce nom de domaine alors libre. « Jusqu’en 2009, mon site a fonctionné sans que j’entende parler de rien, explique le photographe. Puis j’ai commencé à me poser la question de la retraite et j’ai décidé de mettre mon affaire en vente, y compris le site internet. » En septembre 2009, trois mois après avoir apposé un panneau virtuel « À vendre » sur la page d’accueil, Jacques Colletti reçoit un courrier de menaces des avocats d’Adobe France, qui l’accusent d’avoir « enregistré en fraude manifeste » le nom de domaine Photoshop.fr et l’enjoignent de le restituer gratuitement à son légitime propriétaire.
Surpris de la brutalité du procédé, Jacques Colletti ne se laisse pas démonter. Non seulement il démontre aux conseils d’Adobe que les dirigeants de l’entreprise étaient encore en culottes courtes quand il a déposé le nom litigieux, mais il confie à la Chambre des métiers et de l’artisanat le soin de fixer la valeur de ce nom, sur la base d’éléments objectifs. Résultat de l’évaluation : 80 à 85 000 €. Après échanges de courriers et d’e-mails, le géant du software propose 10 000 € via ses conseils. Refus de Jacques Colletti, qui encaisse mal la pingrerie d’Adobe France.
Contactée, la société nous a indiqué avoir finalement « renoncé à toute action contre » le photographe marseillais, désormais, « libre d’utiliser son nom de domaine » comme bon lui semble. Et de le vendre à son éventuel successeur. Pour Photoshop comme pour le reste, mieux vaut avoir raison le premier.
Source: LaProvence.com