Interview « Sarkozy et Fillon ont décidé de dissoudre le numérique »

Le délégué général de l’April revient sur la suppression du secrétariat à l’Economie numérique, « une régression » voulue par des « gens qui n’ont rien compris au numérique » et qui « risque de la payer en 2012 ».

Avec le remaniement, Nicolas Sarkozy a décidé de supprimer le secrétariat d’Etat à la Prospective et au développement l’Economie numérique. Qu’en pensez-vous ?

– Il s’agit d’une régression. Nous avions vu la création du secrétariat d’Etat comme une bonne chose, une avancée, pour une réflexion sur le numérique dans son ensemble, dans sa globalité, et pas seulement d’un point de vue économie. Si dans les faits, les secrétaires successifs n’ont jamais été investis de textes législatifs réellement importants – tel qu’Hadopi -, cela faisait avancer les débats. Avec la disparition du secrétariat d’Etat et un retour dans le giron de Bercy, on revient avec une vision du numérique uniquement d’un point de vue économique. Une vision qui ne peut pas embrasser la révolution numérique dans son ensemble…

Eric Besson a été nommé ministre délégué « chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique ». Le numérique tient-il la place de troisième roue du carrosse ?

– Oui, clairement. Le gouvernement ne veut pas s’investir totalement dans le numérique et a décidé de le rajouter au portefeuille d’un ministre. Il est important de voir que cette attribution figure toujours en dernière position… Pour moi, c’est très clair : Sarkozy et Fillon ont décidé de dissoudre le numérique.

Le gouvernement ne risque-t-il pas de se priver des enjeux d’avenir liés au numérique ?

– Bien sûr. Mais le problème des politiques est que souvent leur vision de l’avenir se limite à la fin de leur mandat… Entre Frédéric Lefebvre, Nadine Morano et un Nicolas Sarkozy qui souhaite « civiliser Internet », on ne peut pas attendre du gouvernement une vision d’un avenir numérique. Ces gens-là n’ont rien compris au numérique. Et l’UMP risque de la payer en 2012. Le numérique sera un enjeu clé de la campagne : les digitales natives [jeunes ayant grandi dans un environnement numérique, NDLR] seront en âge de voter. Or, pour l’heure, ils ne voient dans la politique législative du gouvernement qu’une volonté de criminaliser leurs usages. En 2007, le candidat Sarkozy voulait faire de la France « un haut lieu du numérique dans le monde ». Aujourd’hui, il n’est capable que de répression numérique avec les lois Hadopi et bientôt Loppsi.

Que pensez-vous du choix porté sur Eric Besson ?

– Il est savoureux de voir la nomination de l’ancien secrétaire d’Etat qui avait présenté en 2008 en grande pompe le plan « France numérique 2012 », quelques semaines après que le gouvernement perde le nom de domaine www.francenumerique2012.fr. Un domaine, c’est douze euros, et ils sont déjà incapables de gérer cela…

Comment l’April va-t-elle se mobiliser ?

– Nous allons demander un entretien avec Eric Besson pour faire un point sur l’avancement du plan « France numérique 2012 » qui arrive à échéance dans deux ans et dont on ne sait encore rien des réalisations concrètes. Nous souhaitons aussi connaître la position du ministre sur des dossiers comme l’Acta [l’accord anti-contrefaçon, NDLR] ou les marchés publics illégaux [appels d’offres de collectivités qui excluent les logiciels libres, NDLR]. Mais il ne faut pas se leurrer, désormais, les dossiers importants pour le numérique sont traités directement par l’Elysée et le ministère de la Culture.

Interview de Frédéric Couchet, délégué général de l’April, association pour la promotion et la défense du logiciel libre, par Boris Manenti

Source: NouvelObs.fr