Megaupload : l’Afnic dénonce la mainmise américaine sur Internet

La fermeture par le FBI du site Megaupload.com remet en lumière la mainmise des autorités américaines sur la gouvernance du Net et le fait qu’elles peuvent, sur injonction de leur justice nationale, désactiver en deux minutes n’importe lequel des 95 millions de sites en .com. Accusée de violation des droits d’auteur, la plate-forme emblématique et controversée du téléchargement direct ou en streaming a été désactivée jeudi soir et des serveurs informatiques hébergeant des données liées à son fonctionnement ont été saisis.

« S’attaquer à des serveurs hébergés dans plusieurs pays équivaut à couper la tête à une hydre. Mais intervenir sur un nom de domaine, c’est taper au coeur du dispositif névralgique », explique Loïc Damilaville, directeur général adjoint de l’Association française pour le nommage internet en coopération (Afnic), l’office d’enregistrement officiel du .fr. Le nom de domaine – soit l’identifiant – de Megaupload se terminant par .com, la plate-forme tombe sous le coup du droit américain. C’est en effet une société américaine basée en Californie, Verisign, qui gère les 95 millions de noms de domaine en .com (sur un total de 220 millions, les autres se terminant par exemple en org, uk, fr, etc.).

« Action unilatérale »

« Une fois que la justice américaine prend une décision et qu’elle enjoint à Verisign de couper le nom de domaine, l’action elle-même ne prend que quelques minutes, même s’il y a ensuite un délai de propagation qui peut prendre plusieurs heures », souligne M. Damilaville. « C’est une démarche judiciaire, mais l’action est unilatérale », renchérit Stéphane Van Gelder, à la tête du GNSO, instance décisionnelle de l’Icann, discret organisme privé américain qui assure un rôle clé dans la régulation d’Internet en attribuant les noms de domaine. Le gouvernement américain « agit pour empêcher une atteinte juridique, en l’occurrence le partage de fichiers illégaux niant les droits de propriété intellectuelle. Mais au lieu d’aller vers les gestionnaires du .com, ils pourraient venir à l’Icann pour tenter de faire arrêter ce genre d’activités », souligne-t-il.

Ce n’est pas la première fois que les autorités américaines passent outre les instances mondialement reconnues pour désactiver de leur propre chef des sites internet. Elles avaient ainsi « débranché » par erreur en 2010 quelque 84 000 sites lors de l’opération « In our sites » destinée à fermer des sites liés à la pornographie, ou encore saisi en 2011 le nom de domaine du site espagnol de football rojadirecta dont elles jugeaient les activités illégales, ces mêmes activités ayant pourtant été déclarées totalement légitimes par la justice espagnole.

« Conflit de juridiction »

« Les autorités américaines ont clairement la mainmise sur toutes les extensions numériques qui sont gérées par des prestataires américains ou situés aux États-Unis. On est en plein coeur de la problématique sur le droit applicable lorsqu’on parle de nom de domaine, il y a un vrai conflit de juridiction », selon Loïc Damilaville. Vendredi, l’adresse IP de Megaupload.com semblait pouvoir être retracée auprès du prestataire hébergeant les services de sécurité intérieure du gouvernement américain, selon des analystes : « Il est possible que l’on ait demandé à Verisign de rediriger le contrôle du nom de domaine Megaupload.com vers les serveurs du FBI », a estimé M. Van Gelder.

« Les États-Unis font clairement de l’ingérence dans l’architecture d’Internet pour aller jusque dans d’autres pays », a dénoncé pour sa part Jérémie Zimmermann, co-fondateur de l’association La Quadrature du Net, selon lequel « de nouveaux sites Megaupload vont très certainement rouvrir sur des noms de domaine inatteignables par les États-Unis ».

Source LePoint.fr