En dehors de l’Icann, point de salut pour l’Internet ? Une expérience française semble vouloir contredire cette généralité, avec un nouveau TLD (nom de domaine de premier niveau… soit les .com, .net et autres .fr). Baptisé .42, il pose plusieurs problèmes techniques et intellectuels, et enflamme le web technophile.
Si on veut enregistrer un nom de domaine dans le monde, il y a peu d’alternatives. L’Icann (Internet corporation for assigned names and numbers) régule au niveau global les noms de domaines de premier niveau (TLD). Des déclinaisons régionales gèrent les extensions pour chaque pays, comme l’Afnic en France, chargé du .fr.
Il y a quelques semaines, un nouveau venu a fait bouillir les technophiles : 42 Registry débarquait avec un TLD baptisé .42. Référence geek évidente, l’objectif de cette association de loi 1901 est de développer un nouvel espace dédié au contenu libre. « Comme dans le logiciel libre, » précise Romain Rivière, l’un des fondateurs de 42 Registry interrogé par Clubic. Pas question ici d’idéologie libertaire ou cyber-dissidente, donc. L’idée n’est pas forcément de dénoncer un Internet détenu par l’Icann. Pour Romain Rivière, « on peut voir ça comme un clivage, mais on peut aussi le voir comme une extension d’Internet. Il y a l’Internet officiel, mais l’Internet indépendant est un peu plus large. »
Un TLD indépendant
D’ailleurs, à l’origine, les quatre fondateurs de 42 Registry – bientôt rejoints par une cinquième personne – voulaient enregistrer un TLD dans les règles de l’art, auprès de l’Icann. C’était il y a un peu plus d’un an. « Mais nous nous sommes rendus compte que c’était compliqué. Nous voulions essayer le .42, un TLD numérique, ce qui pose des problèmes techniques. Mais surtout, pour adhérer à l’Icann, il fallait disposer de fonds colossaux, et assurer une disponibilité à 100%. Pas à 99 virgule quelque chose, 100%. Avec un statut d’association et quatre personnes, ce n’était pas possible immédiatement. »
Va pour le TLD indépendant, 42 Registry se lance et tente d’inventer un modèle. « Nous ne souhaitons pas créer une communauté à proprement parler, elle existe déjà. Mais nous voulons fédérer autour d’une expérience. » Pour le moment, c’est un comité composé de quatre personnes qui valide ou non les projets de noms de domaines. Et propose un accès gratuit au TLD pour l’instant. Accès qui restera gratuit, même si une participation de soutien sera possible après le lancement officiel. « Dans le futur, ce sera la communauté elle-même qui validera ou non les dossiers. »
Censure ? « Des TLD restrictifs, il y en a, » balaie Romain Rivière. Certes, le .fr n’est par exemple disponible qu’aux personnes physiques ou morales basées en France. Mais le critère est assez objectif, quand 42 Registry veut s’en tenir à une charte liée au concept du libre. Les critiques pleuvent, presque aussi nombreux que les soutiens. « On ne veut pas avoir la main sur le type de contenu, mais sur ce que les gens veulent en faire. S’il y a un usage commercial derrière, périphérique, ce n’est pas gênant. Par exemple, un vendeur de voitures ne l’utilisera pas comme vitrine, mais si un développeur veut mettre à disposition son logiciel open-source, cela ne nous dérange pas qu’il le fasse payer. »
Confusion et soutiens
Il semblerait donc bien qu’il y ait une confusion quelque part. « C’est à cause de la première version de notre charte. Elle était très restrictive. On s’est rendu compte que ce n’était pas ce que voulait la communauté, on l’a modifiée… Cela semble mieux convenir maintenant, et être plus compréhensible. Il faut bien voir que lorsque tout a commencé, cela faisait presque un an que nous travaillions dessus. Nous nous étions fixé mars comme date de lancement officielle, et, si nous étions au point techniquement, il nous restait toute la communication à faire. Mais l’Internet a été plus rapide et nous a trouvés. »
Les critiques pleuvent, donc. Internet fermé, censure, comité d’approbation réduit et opaque… Les tensions sont désormais apaisées, et Romain Rivière promet : « De toute façon, au final, ce sera la communauté qui validera elle-même les nouvelles demande. Ce n’est juste pas au point, car cela pose des problèmes techniques, de gouvernance, etc. Mais ça viendra. » Mea culpa, donc, c’était bien la charte qui posait un problème dans sa première formulation. « De toute façon, nous avons pris ça comme des critiques constructives, et la preuve en est que la charte est meilleure maintenant. »
A côté des critiques, les encouragements n’ont pas manqué à l’appel non plus. French Data Network (FDN), le fournisseur d’accès à Internet associatif, soutient. « Ce sont nos voisins d’IRC, il faut dire, donc on ne va pas dire qu’on s’y attendait, mais c’était plus naturel. Geeknode est un nid à geeks, et la communauté francophone s’y croise souvent. Il y a FDN qui nous a soutenus, mais aussi Nerim. » Aussi naturel que le soutien de Tristan Nitot, le fondateur de Mozilla Europe.
D’autres appuis viennent, parfois surprenants. Si on pouvait effectivement s’attendre que FDN participe à l’expérience, l’étonnement vient de chez Bouygues. « Tous les abonnés à la Bbox ont accès à l’espace 42. Cela ne vient probablement pas d’en haut, mais ça veut dire qu’à un étage de Bouygues, quelqu’un a trouvé ça bien, et ils ont assuré la compatibilité sans en parler plus que ça. » Il faut comprendre que l’utilisation pose des problèmes techniques. 42 Registry a mis à disposition des open resolvers. Ça reste compliqué à mettre en oeuvre, et donc réservé aux technophiles avertis.
Le mythe des cinq barbus
42 Registry veut donc rendre toute la procédure plus simple. Et aimerait bien recevoir un soutien, au moins technique, des autres opérateurs et hébergeurs.« Si les abonnés arrivent à dire à Free ou SFR : il y a un truc qui se monte, il faut faire quelque chose, ce sera plus facile pour tout le monde. On ne mise pas uniquement sur le kit d’indépendance. On n’a pas encore de contacts, mais on y travaille. Un post a été mis sur le forum d’OVH : l’abonné voulait rendre son contenu accessible en .42, cela va peut-être venir, et nous permettre d’élargir. » Dans le cas contraire, le risque est de rester dans la marge.
Lambertiste, 42 Registry ? Romain Rivière s’en défend. « Le but n’est pas de déteindre sur le reste de l’Internet. On a prouvé que techniquement on pouvait le faire, et on commence à être reconnu tout doucement. Nous comptons distribuer le code, pour aider, pourquoi pas, un autre TLD alternatif. Mais il n’y a pas la prétention de dire : « Regardez, c’est comme ça qu’il faut faire. » » Une expérience, donc, voilà ce qu’il en retient. Il dit attendre d’avoir du recul, dans deux ou cinq ans peut-être. Mais si le .42 faisait des petits, ce ne serait évidemment pas pour lui déplaire.
« Pour moi, » explique Romain Rivière, « c’est surtout une expérience intéressante. L’affaire Wikileaks a montré qu’il pouvait y avoir besoin d’un TLD qui ne soit pas soumis à l’Icann. Et c’est aussi de revenir à une certaine origine de l’Internet. A la base, c’est cinq barbus qui se rencontrent le dimanche et qui tirent des câbles d’un switch à l’autre pour se connecter. Il y a un côté rigolo, et la référence geek est là pour rappeler ça. On tâte chez les gens, on voit si ça peut marcher. De toute façon, c’est fascinant de voir comment ça peut se dérouler. Ce n’est pas si compliqué que ça, il faut deux ou trois actions par-ci par-là pour faire en sorte que ça marche. Internet, finalement, c’est assez artisanal. »
Source: Clubic