France.fr, le récit d’une débâcle

Une « relance opérationnelle dans la deuxième quinzaine du mois d’août » : c’est l’objectif que s’est fixé le Service d’information du gouvernement (SIG) pour le site France.fr, en panne depuis son lancement officiel le 14 juillet.

Ce « portail de la France » a été présenté la semaine dernière comme un point d’entrée en cinq langues à destination des touristes, investisseurs étrangers ou expatriés, et doit proposer également des liens vers différents services publics. Mais quelques heures à peine après sa mise en service, le site, « réalisé en douze mois grâce au travail et à l’enthousiasme de PME françaises jeunes et innovantes » (PDF), tombait en panne. La faute, expliquait alors Thierry Saussez, le chef du SIG, à une trop forte fréquentation sur le site, avec 25 000 connexions.

Une explication qui fait sourire Yoran Brault, développeur spécialiste de Drupal, le CMS (système de gestion de site) utilisé par France.fr. « Un site de cette nature qui ‘tombe’ avec seulement 25 000 connexions, c’est très peu. Même avec le double de visites, cela n’expliquerait pas une telle panne. » Drupal est utilisé par plusieurs sites à fort trafic, dont, en France, les sites d’information Rue89 et Mediapart, pour lequel Yoran Brault développe des optimisations.

« Mediapart comme Rue89 utilisent quatre serveurs chacun et fonctionnent très bien avec plusieurs dizaines de milliers de visiteurs chaque jour. Surtout, ce type de problème est relativement rapide à corriger : lorsque Mediapart a connu un pic de fréquentation avec les révélations sur l’affaire Bettencourt [le site avait été inaccessible quelques heures, NDLR], nous avons pu corriger le problème assez vite », explique Yoran Brault.

Lorsqu’un internaute se connecte à un site, son ordinateur envoie une demande d’information à l’ordinateur qui héberge le site, ou serveur. Pour traiter cette demande – et générer la page demandée – le serveur consomme de l’énergie et de la capacité de calcul. Si le nombre de connexions est trop important par rapport aux capacités de traitement du serveur, il tombe en panne et le site devient inaccessible. C’est pourquoi les sites Internet à fort trafic utilisent un système appelé le « cache » : ils enregistrent une version « statique » des pages du site, pour épargner au serveur la nécessité de recalculer son contenu. C’est en utilisant une page de ce type que Mediapart a pu rendre son site à nouveau accessible lors des forts pics de connexion.

CHANGEMENT D’HÉBERGEUR

Pour le SIG, le problème que rencontre France.fr vient des serveurs, et donc de son hébergeur, Vert2all, une filiale de l’entreprise Cyberscope spécialisée dans l’informatique « verte », disposant d’un centre de données labellisé dans un « bunker en béton troglodytique semi-enterré sécurisé », selon la description qu’en fait le SIG. Après avoir lancé un audit et annoncé un doublement du nombre de machines dédiées au site, le SIG a annoncé jeudi qu’il « est probable [qu’il devra], malgré la période estivale et en tenant compte des contraintes administratives et réglementaires propres aux marchés publics, changer d’hébergeur ».

Doté d’un budget d’ensemble de 1,6 million d’euros, le site avait fait l’objet d’un appel d’offres. Le gouvernement peut-il changer soudainement d’hébergeur ? Oui, explique Marc Richer, avocat spécialiste des marchés publics. « La personne publique peut toujours résilier un marché public pour faute », détaille-t-il. « Dans le cas d’un site ayant fait l’objet d’une importante campagne de promotion, une procédure accélérée pour la passation d’un nouveau marché public est envisageable, mais il faudra tout de même compter deux semaines. »

Un délai auquel il faudra ajouter le temps de la transmission du nom de domaine et du site, des optimisations et des tests dits « de montée en charge », pour vérifier que le site sera capable de supporter des pics de fréquentation importants. Si l’hébergeur estime qu’il n’était pas en tort, il pourra ensuite contester cette décision auprès du tribunal administratif et demander des dommages et intérêts. Contacté, Cyberscope n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde.fr.

UNE DEUXIÈME VERSION EN NOVEMBRE

Le projet France.fr n’en est encore qu’à ses débuts. Sur le budget de 1,6 million d’euros, seule la moitié des fonds a pour l’instant été utilisée pour la conception et les frais techniques. Les contenus (articles, vidéos) du site sont soit produits directement par le SIG, comme les vidéos du « fil gouv », soit fournis par des partenaires (France 24, Télérama, Marmiton, Météo France…), qui échangent gratuitement leurs articles contre la visibilité procurée par le portail.

Le reste du budget doit être utilisé pour développer une deuxième version du site, prévue pour novembre, qui intègrera une dimension participative, avec la possibilité pour les internautes de publier leurs commentaires et contributions. Cette deuxième version sera par nature plus sensible aux problèmes de trafic, l’envoi d’un commentaire nécessitant une communication directe entre l’ordinateur de l’internaute et le serveur – ce qui limite l’efficacité des systèmes de cache.

« Nous prendrons également en compte, dans [le] redéploiement sécurisé, la gestion prévisionnelle de la version 2″, assure le SIG. Après la douche froide du lancement, le Service d’information du gouvernement veut à tout prix éviter un nouveau fiasco de communication et les moqueries de la presse étrangère. « Il est évidemment hors de question de rouvrir sans certitude », promet le service, directement rattaché à Matignon. En attendant, les moteurs de recherche ont enregistré comme description du site le message d’erreur présent depuis plus d’une semaine sur la page d’accueil.

Damien Leloup

Source: LeMonde.fr