L’Union soviétique a beau appartenir au passé, il y a un endroit où l’utopie socialiste perdure: le cyberespace. Seize ans après l’effondrement de l’URSS, les sites Internet se terminant par l’extension « .su » (pour « Soviet Union ») sont en augmentation constante, alimentant une communauté qui refuse la disparition de l’idéal soviétique jusque dans le monde virtuel.
Le nombre des sites en « .su », qui s’élève à 45.000, reste très faible, face au million de « .ru » (Russie), aux 12 millions de « .de » (Allemagne) ou aux 75 millions de « .com ». Mais il a quadruplé depuis la fin de l’année 2006, et l’augmentation, rien que depuis le début de l’année, est de 45%, grâce notamment à une baisse des tarifs d’enregistrement des noms.
Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène: la nostalgie de certains pour l’empire soviétique, le « cybersquatting », qui consiste à acheter des domaines pour ensuite les revendre au prix fort, et enfin l’aspect marketing, l’extension « .su » permettant aux entrepreneurs d’Internet de disposer d’un nom facilement reconnaissable et parfois déjà acheté sous un autre domaine plus connu.
Ainsi, un petit garagiste de Moscou spécialisé dans les véhicules Ford a lancé son site « ford.su », tandis qu’on trouve des Moscovites ayant acheté les noms « apple.su » et « microsoft.su ».
A peu d’exceptions près, comme l’Estonie, le taux de pénétration d’Internet sur le marché des anciennes républiques soviétiques reste relativement faible. Selon la Fondation pour l’opinion publique de Russie, chargée de superviser l’accès à Internet dans le pays, seuls 27% des adultes russes utilisent ainsi le Web. Pourtant, de nombreux internautes ont développé un intérêt pour le « .su », quand d’autres n’y voient que de la nostalgie et estiment que ce domaine devrait disparaître puisqu’il ne correspond plus à aucune réalité.
« Ils vendent des billets pour un navire qui coule », affirme ainsi Anton Nosik, journaliste spécialiste d’Internet. « Leur message s’adresse aux perdants et aux retardataires ».
Car les domaines traduisant des noms de pays, comme « .fr » pour France, dérivés d’une liste tenue par l’ISO (Organisation internationale de normalisation), disparaissent habituellement lorsqu’une nation cesse d’exister ou change de nom. La Yougoslavie et la Tchécoslovaquie ont ainsi perdu leurs extensions après leur partition. Idem pour le Zaïre lorsqu’il est devenu la République démocratique du Congo (RDC).
Depuis 1990, l’ICANN, l’organisme en charge des noms de domaine sur Internet, a plusieurs fois tenté d’éliminer l’extension « .su ». Toutes ont échoué, même si ce domaine est officiellement considéré comme « en phase d’extinction ». « Il n’y a aucun problème technique », explique John Crain, responsable des services techniques de l’ICANN (Internet Corporation of Assigned Names and Numbers). « Il ne s’agit que de politique ».
Le domaine « .su » a été créé en septembre 1990, un peu plus d’un an avant l’effondrement de l’Union soviétique. La Russie a obtenu le « .ru » en 1994, et les autres anciennes républiques soviétiques ont aujourd’hui également leurs codes. Mais les propriétaires des sites en « .su » résistent à la fermeture, pour des raisons à la fois économiques, politiques et patriotiques. Certains accusent même les Etats-Unis de chercher à éliminer les derniers vestiges de leur rival de la Guerre froide.
Comme compromis, la Fondation pour l’opinion publique de Russie a accepté d’arrêter la création de noms en « .su », tout en autorisant les domaines existant à perdurer. Mais une faille juridique a permis aux adresses telles que « lenin.su » d’ouvrir des sous-domaines comme « vladimir.lenin.su », aidant ainsi le contingent « .su » à croître dans les années 1990.
Puis, en 2001, sous la pression d’usagers toujours plus désireux d’ouvrir un site en « .su », l’enregistrement sous ce domaine a été ouvert à tous. D’abord à un prix exagérément élevé (120 dollars par nom, soit six fois plus que pour un site en « .ru ») pour décourager les nouveaux acheteurs et le « cybersquatting ».
Mais, en janvier dernier, le prix a été abaissé à 25 dollars, entraînant l’augmentation de 45% recensée depuis le début de l’année. Et le phénomène pourrait prendre une nouvelle ampleur fin avril, la Fondation pour l’opinion publique de Russie réfléchissant à l’ouverture de domaines « .su » en langue russe, en plus de l’anglais. AP
source nouvelobs.com