Loïc Damilaville
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CV : Diplômé de l’Edhec en 1993, Loïc Damilaville travaille depuis 1997 dans le secteur des noms de domaine, dont il est l’un des experts en France. Aujourd’hui adjoint au Directeur général de l’Afnic, il est aussi éditeur de la lettre DNS News, fondateur du Club Noms de domaine et consultant.
Interview :
Qu’est-ce qu’un nom de domaine ?
Techniquement, un nom de domaine est une suite de caractères alphanumériques (A à Z, 0 à 9, et » – « ) composée de deux termes principaux : le « vocable » et « l’extension », « afnic.fr » par exemple.
Un nom de domaine est généralement pointé vers une « adresse IP » qui identifie sur le réseau la machine hébergeant le site web. Le nom de domaine sert de support à d’autres fonctionnalités comme l’e-mail : » jean.dupont@afnic.fr « .
S’il cesse de fonctionner, tous les e-mails dont il est le support cessent eux aussi de fonctionner.
Mais le nom de domaine n’est pas « que » cela : il est aussi ce qui permet d’identifier et de localiser un site web, donc de lui apporter du trafic. C’est à la fois la carte d’identité d’une entreprise sur internet et son enseigne, au sens fort de ce terme. C’est pourquoi il est important d’y porter une très grande attention.
Faut-il déposer un nom de domaine dès que l’on crée une entreprise ?
Il faut toujours raisonner selon deux axes : visibilité / création de trafic et protection des marques ou des noms commerciaux.
Une entreprise en phase de création n’a pas encore de présence sur internet : elle n’aurait donc, a priori, pas besoin de déposer les principaux noms de domaines correspondant à sa marque ou à son nom commercial (en .fr, en .com).
Cependant elle doit anticiper son développement et penser aussi à protéger les principaux noms de domaines dont elle pourrait avoir besoin un jour, pour son usage propre autant que pour éviter que des tiers ne s’en emparent.
Pour les sociétés qui atteignent une certaine notoriété, la dimension de protection est encore plus forte car il existe des « cybersquatters » qui déposent les noms correspondants à des marques ou à des noms de sociétés afin d’en tirer profit par divers moyens.
Je conseille donc de déposer, dès la création de la société, au moins ses noms en .fr et en .com. Dans certains cas, si la présence de la future société sur internet est un élément important de son activité, il faut même entrer dans une démarche de vérification de la disponibilité des .fr et .com avant de baptiser définitivement le projet.
On peut noter que le porteur de projet a tout intérêt à protéger les noms de domaine correspondant au nom de sa future société dès qu’il s’est décidé et qu’il a vérifié que ces noms sont bien disponibles. Le cas échéant, il peut les déposer immédiatement en son nom propre (en tant que particulier) quitte à les transmettre ensuit à sa structure une fois qu’elle aura été créée.
Quelles sont les principales extensions ?
Il existe deux grandes familles d’extensions :
– les extensions dites « génériques » qui ne correspondent pas à un pays ou à un territoire précis : .com, .net, .biz, etc.
– les extensions dites « locales » qui sont rattachées à un pays ou à un territoire spécifique : .fr pour la France, .de pour l’Allemagne, .jp pour le Japon, etc.
Chaque extension obéit à ses propres règles d’enregistrement, avec des variantes en termes d’identification des titulaires, de présence locale ou de justificatifs à fournir. Ainsi, le .fr a longtemps été réputé pour sa charte rigoureuse, mais celle-ci s’est notablement assouplie depuis 2004, jusqu’à permettre l’ouverture du .fr aux particuliers en juin 2006.
Faut-il déposer plusieurs noms de domaines ? Quelles extensions préférer ?
La réponse tient toujours dans ces deux axes : visibilité et protection.
Il est vivement conseillé de déposer plusieurs noms de domaines :
– le .com parce qu’il est aujourd’hui le plus intuitif pour les internautes du monde entier,
– le .fr parce qu’il est le plus naturellement recherché par les internautes français et/ou recherchant des contenus francophones.
L’entreprise présente sur plusieurs marchés locaux (physiquement ou possédant des versions de son site destinées à ces marchés) a intérêt à essayer de déposer les noms de domaines correspondant à ces pays si les conditions d’enregistrement l’y autorisent :
– pour avoir une meilleure visibilité,
– et aussi, toujours en anticipant l’avenir, pour éviter que des tiers ne s’en emparent avant elle.
La visibilité des .net, .org, .biz reste sujette à caution, au moins en France où ces extensions restent peu utilisées. En revanche, elles peuvent être déposées à titre défensif en fonction du désir qu’a l’entreprise de « blinder » son périmètre de protection. et de son budget.
Cependant il faut garder présent à l’esprit qu’il est pratiquement impossible de supprimer le risque de cybersquatting. La protection doit donc porter sur les noms jugés les plus stratégiques, ceux que la société devrait absolument racheter ou récupérer s’ils étaient pris par des tiers.
Que signifient « .biz », « .org », « .net », « .com », … ?
A l’origine, le .com était destiné aux entités commerciales, le .org aux entités non commerciales et le .net aux opérateurs internet.
Aujourd’hui, il est fréquent de voir des sociétés exister sous .net ou .org, ou sous d’autres extensions perçues comme plus porteuses de sens (.mobi par exemple pour les sites web dont les contenus ont été optimisés pour les mobiles).
Assez souvent, les noms en .net, .org, .info, .biz ont été déposés par mesure de protection. Leurs titulaires ne les utilisent pas mais veulent empêcher des tiers de les déposer s’ils sont trop proches de leurs marques. Dans d’autres cas, ce sont des homonymes qui les ont pris après avoir « raté » le .com.
N’importe qui peut aujourd’hui déposer et utiliser ces 4 extensions, mais aussi d’autres extensions génériques comme le .info, le .mobi, etc. Il y en a de plus en plus et la tendance lourde est à l’émergence de nouvelles extensions, peut-être d’un type nouveau comme les projets actuels autour du .bzh (langue et culture bretonnes) et du .paris.
Quels sont les liens entre marque et nom de domaine ?
Ce sujet est très vaste et a déjà fait couler beaucoup d’encre. Pour schématiser, la marque constitue un titre de propriété intellectuelle alors que le nom de domaine ne l’est pas. Ce qui signifie qu’en cas de conflit entre un titulaire de marque et un titulaire de nom de domaine, le titulaire de la marque l’emportera.
Mais dans les faits, les choses sont moins simples car il faut prendre en compte l’antériorité des dépôts respectifs et l’utilisation faite de la marque et du nom de domaine. Pour prendre un cas d’école, une société ayant déposé un nom de domaine et l’utilisant normalement pourra obtenir gain de cause face à une société ayant déposé une marque après que le nom de domaine l’ait été, et n’utilisant pas sa marque.
Au-delà de ces considérations générales, il faut comprendre que chaque cas est spécifique et qu’en cas de litige le recours à un conseil juridique est hautement souhaitable.
Comment gérer un litige ?
Il existe trois principaux niveaux de litiges :
– le litige résolu à l’amiable : le nom de domaine litigieux est cédé de gré à gré, souvent en échange de compensations financières,
– le litige résolu grâce à un arbitrage : cette procédure internationale, proposée en Europe par l’OMPI, permet de récupérer des noms de domaines assez rapidement et sans dépenses excessives dès lors que la mauvaise foi du titulaire est prouvée,
– le litige porté devant les tribunaux : le système judiciaire est le recours ultime, avec les lourdeurs habituelles : délais et coûts, difficultés parfois de faire respecter la décision du tribunal français par un tiers établi dans un autre pays.
Face à un litige, la société a tout intérêt :
– à évaluer le préjudice réel causé par le dépôt d’un nom « critique » par un tiers (si la nuisance est nulle, des actions de récupération ne se justifieront sans doute pas),
– à évaluer avec l’aide d’un conseil juridique la force de ses arguments et de ceux de la partie adverse, compte tenu de la jurisprudence et des critères utilisés par les arbitres. Si par exemple la mauvaise foi de la partie adverse ou le préjudice subi ne peuvent pas être clairement établis, une action litigieuse pourra avoir de faibles chances d’aboutir.
Je veux déposer un nom de domaine. Que dois-je faire ?
Une fois la décision d’achat prise, il vous faut vérifier la disponibilité du ou des noms qui vous intéressent, et déterminer par quel prestataire vous souhaitez passer. Il existe une assez large gamme de services liés aux noms de domaines, depuis le simple dépôt de .fr ou de .com, rapide et peu coûteux, jusqu’à l’élaboration de campagnes de dépôts internationales faisant intervenir des dizaines d’acteurs dans différents pays.
Certains prestataires ajoutent aussi, en sus du nom de domaine, des services de messagerie électronique ou d’hébergement.
L’Afnic propose sur son site une liste de bureaux d’enregistrement proposant des .fr, la plupart commercialisant aussi d’autres extensions : www.afnic.fr/obtenir/prestataires
Quelle est la durée de validité d’un nom de domaine ?
La durée de validité varie selon les extensions. En règle générale, toutes les extensions locales (.fr, .de, etc.) sont enregistrées pour un an et renouvelables chaque année. Les extensions génériques comme les .com, .net, .org sont généralement déposées pour 2 ans au début et ensuite renouvelables chaque année.
Certains prestataires ont cependant mis en place des systèmes de renouvellement a échéances variables (2 ans, 5 ans, 10 ans…). Ces opportunités doivent être utilisées avec précaution.
Il faut savoir si c’est le prestataire qui propose ces renouvellements à échéance de 10 ans (par exemple), ou le registre (l’organisme gérant l’extension). Le .com peut ainsi être déposé pour 10 ans auprès du registre, mais pas le .fr.
Si c’est uniquement au niveau du prestataire que s’effectue le dépôt « pour 10 ans », le prestataire s’engage en fait à payer régulièrement, pendant dix ans, le registre a votre place. Il y a de nombreux désavantages a cette situation :
– si le prestataire fait faillite au bout de 5 ans, vous « perdez » 5 ans d’annuités car le registre ne les aura pas garanties et le nouveau prestataire ne les reprendra probablement pas à sa charge,
– si les tarifs du registre évoluent à la baisse, vous paierez en fait plus cher que ce que vous auriez payé année après année,
– vous vous liez à votre prestataire pour une durée considérable a l’échelle d’internet, ce qui introduit une rigidité qui vous gênera peut-être dans 2, 5, 7 ans…
– dans 5 ou 10 ans, il y a de fortes chances pour que vous ayez évolué dans vos activités professionnelles et votre lointain successeur, recevant une facture de renouvellement, ne saura probablement pas de quoi il s’agit, avec tous les risques que cela représente en termes de pertes de noms non renouvelés.
En fin de compte, mieux vaut opter pour des durées de renouvellement courtes (il y a aussi un intérêt en termes de trésorerie) en s’appuyant sur un système de gestion solide.
Il est toutefois possible que les échéances longues se développent de plus en plus, pour rejoindre les pratiques du monde des marques (échéances de 10 ans) et limiter les risques de non renouvellement d’une année sur l’autre.
Quel budget faut-il prévoir pour réserver un ou plusieurs noms de domaine ? Y a-t-il des extensions plus chères que d’autres ?
Le budget noms de domaines est assez variable selon le prestataire auquel vous vous adressez.
La raison essentielle est que le nom est souvent vendu avec d’autres services (gestion associée, e-mails, espace d’hébergement, etc).
Les premiers prix sont autour de 10 euros et cela peut monter beaucoup plus haut en fonction des services proposés avec le nom.
Il existe aussi des disparités de prix entre les extensions, qui sont fonction du degré d’automatisation de la procédure de dépôt. Ainsi, les .fr comme les .com peuvent se déposer en quelques minutes, alors que d’autres extensions exigent une intervention humaine de la part du bureau d’enregistrement. Le coût de revient est alors différent et ses tarifs sont calculés en conséquence.
Dans votre choix, le facteur coût est évidemment important, mais il faut aussi savoir ce que vous obtenez. Un .com vous donne une assez bonne visibilité, mais guère plus. Un .fr vous apporte une bonne visibilité auprès du public français (forte intuitivité) et convoie d’autres messages : contenus francophones, appartenance à la communauté française de l’internet, proximité – autant d’atouts pour une entreprise en voie de création et qui veut s’adresser au marché français.
Quelles sont les conséquences de la non utilisation d’un nom de domaine réservé ? Une autre entreprise pourrait-elle se l’approprier ?
Dans la plupart des extensions, le fait de ne pas utiliser un nom de domaine n’est pas en soi une cause de « perte » du nom. Un nom peut être indéfiniment conservé du moment qu’il est renouvelé dans les délais.
C’est en cas de litige avec un tiers estimant ses droits lésés que l’utilisation ou l’absence d’utilisation du nom de domaine peut devenir un élément d’appréciation important.
Si le nom correspond a une raison commerciale ou a une marque utilisée par un tiers, mais non notoire, et que vous l’utilisez vous-même pour vos propres affaires (société homonyme par exemple), il n’y a pas beaucoup de risques de le voir vous être repris.
En revanche, si le nom n’est pas utilisé, un juge ou un arbitre pourra considérer que vous le « squattez » et que le tiers en aurait plus d’usage.
Dans ce cas il vous faudra prouver que vous avez bien réservé ce nom pour une raison licite.
Propos recueillis par Laurence Piganeau
Décembre 2007
Source APCE.com