« Qu’il s’agisse de contenus ou du ‘ contenant ‘, la nouvelle économie numérique est une grande utilisatrice de la propriété intellectuelle, qu’elle considère comme l’un des instruments les plus efficaces pour soutenir son développement. De cet engouement, découle un nombre de plus en plus importants de litiges qui font l’actualité juridique de l’Internet dans le monde entier. Ainsi, le droit de la propriété intellectuelle est en train de faire sa propre révolution technologique, et s’adapte au nouveau contexte des réseaux et de la communication numérique. Le ‘ cyberespace ‘, terme inventé par William Gibson, désignant l’ensemble des mondes virtuels constitués par les réseaux informatiques mondiaux, doit se réguler face à de tels conflits.
Il est alors logique que l’application concrète de droits intellectuels dans un contexte aussi fluctuant et aussi mouvant, rencontre certaines difficultés pratiques, et suscite de tels conflits. Ces derniers concernent le droit de la propriété intellectuelle dans son ensemble, en opposition en particulier avec les noms de domaine : le droit d’auteur – pour ce qui est de la propriété littéraire et artistique – les marques surtout, mais aussi les dessins et modèles, les sigles et logos – pour ce qui est de la propriété industrielle – sont visés par ces litiges.
Le problème étant à chaque fois de savoir lequel de ces droits va primer sur l’autre. Une analyse au cas par cas s’avère alors nécessaire. Plusieurs questions peuvent d’emblée se poser : comment résoudre les difficultés qui apparaissent du fait de la concurrence entre droits de la propriété intellectuelle, droits ‘ traditionnels ‘, et droits de la technologie numérique, droits nouveaux par excellence ? Le monde analogique l’emporte t-il toujours sur le monde numérique ? D’autre part, le droit d’auteur a-t-il changé ? Et, comment s’adapte le droit de la propriété intellectuelle sur l’Internet ?
Ainsi, l’approche de l’Internet implique des aspects touchant à la propriété intellectuelle. Entre contentieux des marques en ligne et celui des noms de domaine, mais aussi avec les menaces qui planent sur la préservation des droits d’auteur, le problème est d’une importance majeure (Propriété intellectuelle et nouvelles technologies, A la recherche d’un nouveau paradigme, M. Vivant, in Qu’est-ce que les nouvelles technologies ? Odile Jacob, 2001)
Cependant, il faut distinguer suivant le type de propriété intellectuelle qui est en cause. Notons que la propriété littéraire et artistique (droit d’auteur et droits voisins) est davantage bouleversée que ne l’est la propriété industrielle (marques, dessins et modèles, brevets).
Les questions sont nombreuses : elles concernent tant la description des caractères de l’objet à protéger que celle de la titularité des droits, ou encore la détermination des prérogatives susceptibles d’être invoquées et proches d’un droit à l’autre. S’ajoutent à cela les mesures techniques, ainsi que tous les procédés issus de la haute technologie, dont le rôle est de protéger ces différents droits.
Au niveau européen, la directive n? 2001/29 du 22 mai 2001 relative à l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, a été conçue très largement pour les réseaux, et donc mérite que l’on s’y arrête.
Le nouveau contexte est donc favorable à l’évolution du droit, à l’émergence de nouveaux concepts ainsi qu’à de nouvelles solutions.
L’utilisation des réseaux numériques pour transférer et diffuser l’information induit certaines contraintes techniques et de nouvelles pratiques. Dès lors, bien que la propriété intellectuelle s’applique sur l’Internet comme dans le monde réel, il en résulte certaines difficultés particulières d’application, essentiellement dues à la qualité numérique des reproductions qui peuvent être effectuées sur les réseaux, au caractère ouvert et mondial de ces derniers, ainsi qu’à la création de nouvelles infractions et à leur délocalisation.
S’agissant des conflits relatifs à l’attribution de noms de domaine, ils sont liés à l’autonomie des règles d’attribution de ces signes par rapport aux systèmes organisés des droits de propriété intellectuelle. Ils illustrent l’une des limites à l’autorégulation, c’est-à-dire au fait que les textes, les règles de bonne conduite, les chartes professionnelles, et la confiance des parties aboutissent à une organisation juridique propre à l’Internet.
De plus, dans un tel système qui se veut libre, ouvert, et anonyme, l’Etat intervient peu : la confiance doit être laissée aux parties pour organiser leurs situations juridiques. Toutefois, cela n’empêche pas l’apparition de nouveaux conflits, qui ne sont pas toujours évidents à résoudre. En effet, si l’autorégulation n’est pas mauvaise en soi, elle trouve surtout sa place dans les relations entre professionnels. Il faut donc compléter les règles existantes, et adopter des textes spécifiques complémentaires. Car, l’Internet doit vite s’adapter, et entrer définitivement dans le droit, où il a une place légitime. En outre, il doit respecter les dispositions légales en vigueur.
Le principal problème qui tend à être résolu – non sans quelques difficultés – concerne avant tout l’attribution des noms de domaine, car celle-ci est indépendante des registres relatifs aux droits de propriété intellectuelle. Cette attribution s’effectue sans aucune vérification des droits antérieurs, et notamment du droit des marques. L’usage obéissant à la règle du : ‘ premier arrivé, premier servi ‘, règle selon laquelle la rapidité et la diligence donnent accès à la possession du nom de domaine.
Le choix d’un nom de domaine peut alors heurter le droit des marques régi par deux principes-clés : le principe de spécialité et le principe de territorialité.
En effet, en matière de droit des marques, la coexistence de marques identiques pour des produits différents est possible : c’est l’application du principe de la spécialité de la marque. Ainsi, une marque peut être déposée, enregistrée et exploitée légitimement par des titulaires différents, et sans liens entre eux, pour différents objets. Citons le cas de la marque Lacroix pouvant être déposée pour des vêtements, un journal ou de la lessive, ou encore de la marque Mont-blanc, pouvant être déposée pour des stylos de luxe, ou pour de la crème dessert. De même, une marque peut être déposée, enregistrée et exploitée légitimement dans un pays, malgré l’existence dans un autre pays d’une marque identique déposée et enregistrée pour des produits ou services identiques. C’est l’application du principe de territorialité de la marque.
Ces deux principes s’appliquent-ils aux réseaux ?
Se pose alors la question de la nature juridique du nom de domaine, nature débattue, car, faisant l’objet de plusieurs controverses. En effet, le nom de domaine est rapproché de la marque, des noms commerciaux, des dénominations et raisons sociales, ou encore des enseignes. La qualification n’est pas tranchée, et les enjeux d’un tel choix sont essentiels. Le nom de domaine tend à devenir un signe distinctif à part entière, notamment très inquiétant pour les titulaires de marque. Cela a pour conséquence de créer un climat d’insécurité juridique non négligeable.
Des actions judiciaires sont possibles pour sanctionner les éventuelles pratiques abusives. Mais, le temps nécessaire à l’aboutissement d’une telle action judiciaire, puis l’exécution de la décision judiciaire qui en résulterait, apparaissent inadaptés dans un secteur où commercialement, les plus rapides sont les privilégiés. Car, dans le domaine des nouvelles technologies, et en particulier de l’Internet, tout change très vite : le premier arrivé est le premier servi.
C’est pourquoi, il faut mettre en évidence l’articulation du droit de la propriété intellectuelle avec les nouvelles règles régissant l’Internet, en orientant d’une part, l’analyse sur le droit d’auteur, et d’autre part, sur le droit de la propriété industrielle.
Réseaux, Internet et droit d’auteur sont donc étroitement liés : l’application du droit d’auteur au monde numérique n’est pas toujours facile ; quant à la protection des oeuvres, rendue nécessaire par les conflits, des solutions commencent à voir le jour. D’autre part, le droit de la propriété industrielle n’est pas épargné : les conflits entre noms de domaine et marques ne cessent d’augmenter, amenant à se demander, comme en matière de droit d’auteur, quelles vont être les solutions les plus adaptées, et quel sera le droit applicable ainsi que le juge compétent. Des questions auxquelles des ébauches de réponses s’esquissent. »
Source NetPME