La proposition de loi de lutte contre les infractions et contrefaçon sur Internet aux Etats-Unis

Depuis plusieurs années aux États-Unis, les associations professionnelles multiplient les procédures judiciaires contre les utilisateurs d’Internet pour lutter contre le téléchargement illégal. Ces procédures ont eu peu d’impact sur le comportement des internautes. C’est pour cela que, depuis plusieurs mois, les adversaires du téléchargement illégal souhaitent une législation plus agressive que le système de la riposte graduée proposé en France par la loi HADOPI pour limiter ce phénomène.

En septembre 2010, le sénateur démocrate, Patrick Leahy, a proposé une loi de lutte contre les infractions et contrefaçon sur Internet (« Combating Online Infringement and Counterfeits Act » ou COICA) (1). Cette proposition de loi (2) permettrait au juge américain, à la demande du procureur général, de rendre une ordonnance ou une injonction contre les noms de domaines des sites Internet suspectés de contribuer à la diffusion de contenus illicites (Section 2 (b)). Dans le cadre de cette ordonnance, l’agent fédéral devra signifier toute décision de justice rendue au « registrar / registry » du nom de domaine si il est situé aux Etats-Unis. À la réception de cette ordonnance, le « registrar » ou le « registry » devra suspendre le fonctionnement et bloquer le nom de domaine (Section 2 (e)(1)). Dans l’hypothèse où le registrar ne serait pas situé aux Etats-Unis mais que le site s’adresse au public américain, d’autres mesures sont envisagées. Il serait tout d’abord possible de demander, avec certaines limites, aux fournisseurs d’accès internet d’empêcher la « résolution » du nom de domaine visé vers le site internet, c’est-à-dire en pratique bloquer l’accès au site via ce nom de domaine (Section 2 (e)(2)(B)(i)). Il serait également possible de demander à des sociétés de paiement de prendre des mesures raisonnables, dans les meilleurs délais, afin d’empêcher ou de bloquer les transactions financières concernant un consommateur américain contractées sur le site dont le nom de domaine est mis en cause (Section 2 (e)(2)(B)(ii)(I)). Enfin, les entreprises de publicités devraient elles aussi prendre des mesures raisonnables, dans les meilleurs délais, afin de ne pas diffuser des publicités pour les sites Internet associés au nom de domaine mis en cause (Section 2 (e)(2)(B)(iii)) (2). Ces sites pourraient donc être bloqués ou privés de publicité et/ou de systèmes de paiement en ligne vis-à-vis du public américain.

En novembre 2010, cette proposition de loi a été présentée avec succès devant le Comité judiciaire du Sénat, mais le vote de cette proposition a été décalé dans le temps en raison des élections de mi-mandat (3). Le sénateur a organisé une rencontre avec les représentants de plusieurs sociétés du Web qui ont, par ailleurs, participé aux auditions organisées devant le Congrès le 16 février dernier (4).

Depuis l’annonce de cette proposition, le nombre des opposants ne cesse de progresser aux Etats-Unis. 87 ingénieurs se sont regroupés et ont envoyé une lettre aux sénateurs pour demander le rejet de cette proposition de loi (5). Ils ont soutenu que cette proposition risquait de morceler le système des noms de domaine (Domain Name System), dont le rôle est de faciliter l’accès aux sites Internet, et de créer un climat de peur et d’incertitude considérable pour l’innovation technologique (5). Puis, ils ont affirmé que cette proposition de loi s’inscrivait en totale contradiction avec les propos tenus par la secrétaire d’État, Hillary Clinton, qui avait déclaré que la liberté d’utiliser Internet était un des droits fondamentaux de l’Homme et une des priorités de la diplomatie américaine (6) lors de son discours du 21 janvier 2010 (7).

En outre, Tim Berners-Lee, directeur de W3C (World Wide Web Consortium) (8), a exprimé son désaccord (9) et a appelé les internautes à se mobiliser contre cette proposition de loi en signant la pétition « Stop the Internet Blacklist » (10) qui réunit aujourd’hui environ 250 000 signatures (11).

Les sénateurs espèrent toutefois que cette proposition de loi sera adoptée cette année, ce qui semble réalisable puisqu’elle semble faire l’objet d’un compromis et d’un accord entre les démocrates et les républicains (12). Cette proposition de loi bénéficie d’ores et déjà de différents soutiens dans divers secteurs tels que le cinéma, la musique ou les jeux vidéos et ce, en dépit de la position exprimée par l’ONG Electronic Frontier Foundation, selon laquelle il s’agit surtout d’un texte répressif et favorable à la censure (13). En effet, cette proposition de loi permettrait une censure d’Internet par le gouvernement fédéral sans respecter le principe de « due process of law », protégé par la Constitution américaine (14), qui poursuit le même objectif que le droit à un procès équitable puisque le site en cause pourrait être bloqué d’office sans que le responsable ne fasse l’objet d’un procès au préalable.

Il est dès lors possible que cette proposition soit finalement rejetée, en raison des arguments avancés par ses opposants et du fait de sa possible contrariété à la Constitution américaine. Si tel était le cas, les législateurs américains se mettraient probablement en quête d’une nouvelle solution pour combattre le phénomène du téléchargement illégal.

Vanessa Rustarazo

Master II NTIC, Versailles – St Quentin, promotion 2010-2011

Source: Juriscom