Nouvelle forme de référencement publicitaire, nouveau cas de responsabilité en ligne : le domain parking. Les premières décisions viennent de tomber ! Elles sont riches d’enseignement.
Un site parking consiste à tirer profit d’un nom de domaine en insérant des liens sponsorisés. En clair, il s’agit d’enregistrer un nom de domaine et de le rediriger vers une page contenant des liens publicitaires : la page parking. L’intérêt de la technique est que le propriétaire du nom de domaine sera rémunéré pour chaque clic réalisé par un internaute sur un lien figurant sur sa page parking (« pay per clic »). Pour reprendre l’exemple du site sedo.fr spécialisé dans ce service : l’url www.revenue.fr pointe ainsi sur une page contenant un annuaire de liens publicitaires sur le thème de l’assurance, ces même liens renvoyant vers des entreprises offrant des services. Souvent, un site parking s’accompagne également de la vente aux enchères de noms de domaines : plus un nom de domaine est attractif notamment en tant que site parking, plus sa valeur augmente aux enchères, ce qui permet à son propriétaire de s’enrichir par sa revente.
En 2007, l’ancien directeur de l’Australian Industry Association Michael Gilmour considérait que le marché du « domain parking » était un marché publicitaire très lucratif et en pleine expansion. Il est vrai que cette technique permet de fructifier des noms de domaines inutilisés et d’en accroître la valeur économique : plus un nom de domaine génère du trafic, plus une entreprise sera tenté de l’acheter pour en bénéficier.
En revanche, si le nom de domaine enregistré porte atteinte à une marque (1), le détournement de trafic opéré risque fort d’engager la responsabilité de son propriétaire (2).
1. L’atteinte à la marque
La marque est un signe distinctif permettant de désigner des produits ou services. Elle peut être protégée soit par le dépôt à l’INPI ce qui permet de se prévaloir de l’action en contrefaçon ; soit à défaut de dépôt à l’INPI, par la notoriété acquise en raison de son exploitation, en recourant aux mécanismes de concurrence déloyale ou de parasitisme.
Dans le cas du domain parking, l’atteinte à la marque sera caractérisée par une utilisation non autorisée de celle ci par une personne autre que le titulaire légitime soit à titre de nom de domaine, soit à titre de lien hypertexte publicitaire. Pour faire respecter ses droits, la victime a alors le choix entre une procédure arbitrale devant le Centre de Médiation et d’Arbitrage de l’OMPI, ou une action judiciaire devant les tribunaux compétents.
Lorsque le « domainer » est basé à l’étranger ou qu’une restitution rapide du nom de domaine est recherchée, le recours à une procédure arbitrale devant l’OMPI semble plus adéquat. Tel fut par exemple le cas pour le nom de domaine correspondant aux initiales de l’Institut National de la Propriété Intellectuelle, piraté par la société BWI Domains basée aux iles Cayman et redirigeant vers une page parking contenant des liens sponsorisés sur la propriété intellectuelle !
Dans une décision N° D2008-1536 rendue le 27 novembre 2008, les arbitres de l’OMPI se sont montré sévère à l’encontre du contrevenant, considérant que de par son activité de domainer il ne pouvait être « obstinément aveugle » et ordonnant la restitution du nom de domaine . La mauvaise foi d’un professionnel de l’enregistrement des noms de domaines semble donc plus facile à démontrer devant les arbitres de l’OMPI. De quoi inspirer l’institut américain de la propriété industrielle dont le site officiel www.uspto.gov est également piraté par un site parking : www.uspto.com , mais qui n’a pas encore intenté de recours.
Au contraire lorsque le contrevenant est basé en France et que la réparation de l’atteinte est recherchée, l’action en justice devant les tribunaux français s’impose.
Ainsi, dans l’affaire , Stéphane H avait enregistré le nom de domaine qu’il proposait à la vente pour la somme de 10 000 € sur le site www.sedo.fr . Sur ce dernier site, la société SEDO offrait également aux enchères de nombreux noms de domaines similaires parmi lesquels , , , ou encore , , ,,…
Or, la marque « Méridien » est exploitée de manière intensive dans le domaine de l’hôtellerie par la société des Hôtels Méridien. Non seulement elle fait l’objet de deux dépôts à l’INPI (« Méridien » et « Le Méridien ») mais son attractivité et sa distinctivité dans l’esprit du public dépassent les seuls services d’hôtellerie désignés dans les enregistrements, ce qui en fait une marque renommée au sens de l’article L 713-5 du code de Propriété Intellectuelle.
En offrant à la vente sous forme de noms de domaine et sous des déclinaisons similaires un terme protégé non seulement par deux dépôts de marque mais jouissant également d’une forte renommée qu’ils ne pouvaient ignorer, Stéphane H et la société SEDO portaient chacun indubitablement atteinte aux droits de la société des Hôtels Méridiens.
Cette utilisation de la technique du domain parking constitue finalement une forme évoluée de cybersquating et de typosquatting que les tribunaux n’ont pas manqué de sanctionner.
2. La responsabilité du prestataire de service de parking et du propriétaire du nom de domaine
Quelles sont les responsabilités en cause en cas d’atteinte à une marque par un site parking ? Si la responsabilité du titulaire du nom de domaine litigieux est évidente compte tenu de la jurisprudence établie en matière de cybersquatting, les choses sont plus délicates à l’égard du fournisseur de service de parking : doit-il être considéré comme éditeur du site puisqu’il en fournit le contenu à savoir les liens publicitaires ? Ou au contraire est il un simple intermédiaire technique assurant le stockage de contenu au sens de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN) puisque l’insertion des liens dépend d’une requête du titulaire du nom de domaine : dans ce cas il pourrait se prévaloir de l’application du régime d’exonération applicable aux hébergeurs pour tenter d’échapper à toute responsabilité.
L’affaire a donné l’occasion aux juridictions françaises de répondre à ces questions et de prendre position sur le domain parking.
Dans une décision remarquée du 21 octobre 2008, la Cour de Cassation confirme un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 7 mars 2007 qui condamne la société SEDO en retenant que « les principes de loyauté et de libre concurrence attachés à l’exercice de toute activité commerciales imposent à une entreprise intervenant sur le marché de s’assurer que son activité ne génère pas d’actes illicites au préjudice de tout autre opérateur économique ».
Ainsi, la société SEDO ne peut se prévaloir de la qualité de prestataire technique au sens de la LCEN pour s’exonérer de sa responsabilité puisque selon la Cour d’appel, elle édite elle même le site en cause et réalise elle même des liens publicitaires, de telle sorte qu’elle l’exploite commercialement. Autrement dit l’activité de fourniture de services de parking constitue une activité d’édition et non un simple hébergement. Quand bien même le statut d’hébergeur s’appliquerait, la Cour d’appel affirme expressément que le fournisseur de service de parking ne pourrait bénéficier du régime d’exonération prévu à l’article 6-I-2 de la LCEN. Ce raisonnement parait logique au vu du rôle actif joué par la société SEDO en tant qu’intermédiaire favorisant notamment la vente des noms de domaines aux enchères, ce que la Cour de Cassation ne manque pas de souligner dans sa décision.
Enfin, la responsabilité de Stéphane H est également engagée puisque de par son enregistrement, « il avait réalisé un emploi injustifié de marques notoires sur lesquelles il ne disposait d’aucun droit,pour en tirer un profit particulièrement indu ».
Outre la cessation de ses agissements, la société SEDO est condamnée à 15 000 € pour moitié avec Stéphane H pour le nom de domaine , 75 000 € de dommages et intérêts pour la réparation de l’atteinte de l’intégralité des noms de domaines restants, enfin à la publication de la décision à ses frais sur la page d’accès de son site pendant un mois.
Cette première affaire en matière de site parking montre à quel point l’activité de domainer, même si elle peut paraître facile et lucrative, n’est pas sans risques au regard de la protection des marques. Au demeurant, l’aura de ces décisions semble dépasser la seule question du domain parking puisque l’invocation des principes de loyauté et de concurrence qui s’imposeraient à toute entreprise intervenant sur le marché peut concerner tous les acteurs de l’Internet tel Google, eBay ou Daylymotion.
source Droit-technologie.org