Noms de domaine et marques
La conception et la protection des marques sont des compétences bien établies qui reposent sur une certaine éducation des entreprises. Successivement passé d’une longue période de conception, du début des années 70 au milieu des années 90, à une popularisation rapide jusqu’en 2000, puis à une accélération commerciale, le développement de l’Internet a des conséquences sur les marques qui sont souvent sous-estimées, voire ignorées par les entreprises.
Un constat s’impose, la communication relative à une marque est facilitée par les services du web et des moteurs de recherche.
L’accès au site web d’une marque dépend de l’enregistrement d’un nom de domaine. Saisi dans un navigateur (Internet Explorer, Firefox, …), il permettra d’afficher le site web. Le nom de domaine devient donc une composante de cette marque. Son enregistrement est alors indissociable du processus de création d’une marque. Oublier ce principe expose à des nuisances ou des préjudices sans rapport avec le prix du nom de domaine. Mais on va voir qu’un nom de domaine ne va jamais seul.
Quelques rappels utiles
Le principe du nom de domaine a été arrêté en 1983, avec la première spécification des DNS (Domain Name Server). Les DNS sont presque à la localisation sur Internet ce que le GPS est à la géo localisation.
Le rôle d’un DNS est de convertir le nom de domaine saisi par un internaute dans son navigateur en adresse physique sur le réseau (dite adresse IP). Internet est rempli de DNS qui communiquent entre eux, presque instantanément, pour trouver celui qui contient cette adresse IP.
Jusqu’en 1995, les noms de domaines étaient limités à quelques extensions (.com, .edu, .mil, etc…) dont la plupart étaient inaccessibles aux entreprises, et les autres difficilement accessibles. A partir de 1995, il y a eu un mouvement de libéralisation et d’élargissement de ces extensions dites génériques com, net, org, biz, info,…
En 1998, ce microcosme grandissant s’est donné des moyens de gouvernance par la création de l’ICANN.
Les extensions pays se sont ensuite développées (fr, de, it, be …). Les extensions génériques se sont élargies ( coop, travel, jobs, mobi) avec les extensions dites génériques sponsorisées, conçues pour une communauté professionnelle.
Les génériques de communauté culturelle, linguistique et géographique sont apparus avec le .cat (Catalogne) et le .asia et d’autres candidats piaffent d’impatience (bzh, gallice, pays de galle, paris, berlin, …)
On recense environ 250 extensions, dont beaucoup ne sont pas encore opérationnelles.
Cette prolifération répond à un triple besoin, le libéralisme commercial, l’élargissement de l’espace d’adressage qui peut se saturer et le besoin d’identification communautaire.
De façon surprenante, il y a aujourd’hui une sorte d’obligation de réserver ses noms de domaine sur un maximum d’extensions pour protéger une marque, alors que ces extensions semblaient avoir une vocation sectorielle. Cela provient des pratiques délictueuses, concurrentielles, spéculatives ou simplement protectionnistes qui s’intensifient.
De l’internaute à l’éditeur d’un site
Identifier ces pratiques suppose de bien comprendre comment un internaute est mis en relation avec le contenu d’un éditeur de site web.
Il a 3 possibilités à partir de son navigateur internet :
• En cliquant sur une adresse enregistrée dans ses favoris ou dans un répertoire
• En cliquant sur un lien rendu par un moteur de recherche
• En saisissant l’adresse dans la barre du navigateur (navigation directe).
La navigation directe repose sur la mémoire de l’internaute ou sur son instinct qui l’amène à essayer une adresse web construite avec le ou les mots qui constituent son intérêt du moment. Ainsi, un internaute en recherche de bonnes affaires sera tenté de saisir bonnesaffaires.fr par exemple pour voir si cela aboutit quelque part. De mémoire ou d’instinct, le résultat de sa saisie peut contenir des fautes ou variantes d’orthographe et des séparateurs. Il risque alors de ne rien obtenir, sauf si ces formes syntaxiques ont été réservées par quelqu’un, titulaire ou non d’une marque.
Quant aux moteurs de recherche, beaucoup ont remarqué que leur usage est gratuit mais qu’ils se rémunèrent par des liens payants placés en évidence sur les pages rendues selon les mots clés cherchés. Ils ont, donc, contribué à motiver des annonceurs qui paient leur publicité selon le mode du «PayPerClick». Dès lors, ces annonceurs ont intérêt à ce que leurs liens figurent non seulement sur les pages résultats des moteurs de recherche, mais aussi sur tout site à fort trafic de visiteurs, dont le propriétaire recevra une partie de cette rémunération «au clic».
Les sites destinés exclusivement à ce mode de rémunération ont proliféré. Ils ne contiennent que des liens commerciaux fournis par les régies publicitaires des moteurs de recherche où ils sont hébergés en «pages parking» par un hébergeur qui fournit sa propre régie publicitaire.
On notera au passage que l’exploitant de pages parking propose souvent la revente aux enchères de noms de domaines utilisés sur ces pages parking.
Ces pratiques constituent paradoxalement un piège ou une opportunité pour les marques. C’est un piège si un nom de domaine contrefait comme évoqué ci-dessus attire et détourne du trafic, et peut être des ventes, qui devaient aboutir à la marque. C’est une opportunité si le titulaire d’un domaine non contrefait en parking a développé un fort trafic pour le vendre ensuite à une marque qui en bénéficiera.
Il existe, ainsi, deux marchés pour les noms de domaines. Le premier est le marché de l’enregistrement pour donner l’accès à un contenu d’éditeur, généralement titulaire des droits d’une marque. Le second est celui de l’enregistrement dans un but spéculatif de génération de revenus par les annonceurs puis de la revente.
Cela amène les titulaires d’une marque à devenir des acheteurs du second marché dans une démarche protectionniste (tel domaine détourne du trafic de visiteurs de la marque) ou expansionniste (tel domaine ramènerait du trafic supplémentaire à la marque).
Les pratiques nuisibles
Il existe, hélas, des pratiques délibérément nuisibles qui motivent des enregistrements de noms de domaines.
Ainsi, un spammeur ou un phisheur déposera un nom de domaine qui servira dans ses campagnes d’emailing à déjouer l’attention du destinataire pour l’amener à ouvrir l’email. Dans ce cas, le titulaire d’une marque contrefaite par un spammeur ou un phisheur va subir un préjudice d’image si ce n’est pire.
Un cyber-squatteur qui réserve un nom de domaine en contrefaisant une marque veut en tirer profit par la rémunération publicitaire. Outre le détournement possible d’une intention d’achat vis-à-vis d’une marque, cette rémunération publicitaire peut aussi provenir de concurrents de la marque. Elle subit alors un double préjudice, la perte d’une vente et la réalisation d’une vente au profit d’un concurrent.
Dans certains cas de similitude de noms de marque, les variantes syntaxiques ou l’usage des séparateurs peuvent permettre un détournement délibéré de trafic, d’autant plus durable que la marque n’aura pas été suffisamment protégée par les moyens traditionnels pour faire valoir ses droits sur le nom de domaine.
Les ripostes possibles
Ces pratiques ne sont pas immédiatement détectables. Pourtant, il existe des outils pour surveiller la base de données mondiale des noms de domaines et mettre en évidence des constructions syntaxiques qui peuvent correspondre à des contrefaçons.
Dès lors qu’on a détecté un tel nom de domaine, on peut analyser les raisons de son dépôt, la nature du préjudice qu’il représente et envisager l’action la plus appropriée.
Il y a 3 actions ou ripostes possibles selon la certitude ou non de contrefaçon
• Engager une procédure administrative auprès de l’organisation appropriée pour faire valoir ses droits sur le domaine
• Tenter une négociation amiable ou aux enchères en vue du rachat si la procédure administrative n’est pas garantie de succès
• Attendre l’expiration éventuelle du nom de domaine pour tenter son rachat en utilisant des outils de surveillance spécialisés pour cela.
Souvent, il ne sera pas possible d’agir voire inutile.
L’intelligence économique par les noms de domaine
Tout comme les entreprises ont appris à surveiller leurs concurrents ou les éventuels contrefacteurs qui opèrent autour de leurs marques, il est opportun qu’elles mettent en place les moyens de surveiller l’activité autour de leurs noms de domaines Internet.
Les noms de domaines sont consignés dans les bases de données des registres (accessibles par les whois), des DNS, des opérateurs anti-spammeurs, des moteurs de recherche, des hébergeurs de pages parking (en fait leurs DNS), etc…
Des techniques de data mining appliquées à ces bases de données permettent de surveiller, et de renseigner sur les éventuelles contrefaçons, leurs auteurs, leurs motivations, l’audience qu’ils suscitent, la nature des préjudices qu’ils peuvent commettre.
Bien que peu pratiquées aujourd’hui, ces techniques permettraient aussi de surveiller des concurrents et de comprendre un peu mieux leur stratégie sur le net. Ainsi, il est assez aisé de reconstituer le parc de noms de domaines d’un concurrent, de surveiller sa communication de marques, sa stratégie d’optimisation de son audience par les noms de domaines.
Tout cela relève de l’intelligence économique pour laquelle il faut disposer des outils appropriés et de l’expertise nécessaire pour ne pas passer des lustres à étudier le contenu des sites web. L’analyse experte des dépôts et modifications des caractéristiques opérationnelles des noms de domaines permet, en effet, une évaluation rapide.
L’effet boomerang sur la création des marques
S’il est possible de surveiller les agissements sur Internet autour de ses propres marques ou de celles de ses concurrents, il est aussi tout à fait possible d’intercepter des informations relatives à la création de nouvelles marques. Des précautions sont prises par les titulaires, mais elles sont souvent insuffisantes. A titre d’exemple, l’utilisation d’un registrant professionnel mandaté pour garder l’anonymat peut être une incitation à aller regarder de plus près. Les DNS peuvent alors révéler des choses qu’il était souhaitable de conserver cachées jusqu’au lancement.
Les acteurs
Les nuisances pour les marques sont généralement occasionnées par des individualités. Les cyber-squatteurs déposent des noms de domaine similaires ou identiques à des marques pour en retirer du profit, certains avec des intentions très malveillantes. Il ne faut pas les confondre avec les «domainers» spéculant sur des noms de domaine génériques à fort trafic. Parfois, les domainers deviennent des entreprises. Il existe des places de marché pour les domainers. Les registres ont des politiques très variables pour protéger les titulaires de marques. Les instances de gouvernance font évoluer la réglementation, mais sans pouvoir maîtriser tous les appétits et tous les comportements. Les entreprises ont d’autant plus intérêt à développer leur compétence pour observer les agissements sur leurs marques que le marché est en forte croissance et pour longtemps.
auteur : Dominique Morvan ©NAMEBAY 2008
article publié dans « La Revue des Marques n°62 – avril 2008 »
source NAMEBAY