Un arrêt de la Cour d’appel de Paris, en date du 16 janvier 2008, pourrait avoir marqué un tournant majeur dans l’utilisation des noms de domaine en .fr.
En l’espèce, la société Sunshine avait assigné un particulier, titulaire du nom de domaine «sunshine.fr». Sa demande visait à revendiquer la propriété du nom de domaine litigieux, déposé le 7 avril 2005.
A l’appui de sa demande, la société invoquait une disposition du décret du 6 février 2007. Celle-ci prévoit en effet qu’un nom «identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle» ne peut être choisi comme nom de domaine si le demandeur ne peut «justifier d’un intérêt légitime».
Etant donné la date de promulgation du décret, la défense avait logiquement objecté qu’il était inapplicable à un nom de domaine déposé antérieurement.
Les juges du fond ont cependant donné raison à la société et ont fait application de ce décret «relatif à l’attribution et à la gestion des noms de domaine» Cette solution impliquerait donc que celui-ci est rétroactif.
L’application de ce décret à des situations antérieures à sa promulgation pourrait bouleverser le paysage des noms de domaine en .fr.
En effet, ce texte précise les règles d’attribution des noms de domaine. Or, celles-ci restreignent le choix des noms de domaine pouvant faire l’objet d’un dépôt. En effet, un des objectifs du décret est de protéger différentes personnes. Dans cette optique, certains noms de domaine ne pourront plus être déposés, si ce n’est par les personnes faisant l’objet de la protection. Il s’agit notamment de l’Etat, des élus dans l’exercice de leur mandat ou encore des titulaires de marques.
Or, la solution de la Cour d’appel semble élargir le champ d’application de ces règles restrictives pour y inclure l’utilisation de noms de domaine déjà attribués. Par conséquent, il semble que certains noms de domaine, qui sont actuellement utilisés, pourront faire l’objet d’une demande de réattribution par les personnes protégées.
Mais pour pouvoir réellement apprécier l’impact qu’une telle décision peut avoir sur les noms de domaine, qu’ils ait déjà ou non été déposé, il convient de s’interroger sur la manière dont les juges vont interpréter ces dispositions. En effet, ce décret, dans son application, fait référence à certaines notions. Une interprétation large de celles-ci par les juges conduira donc nécessairement à englober ou non un nombre important de noms de domaines devant faire l’objet d’une réattribution.
Ainsi, le décret dispose notamment que «le nom d’un titulaire d’un mandat électoral, associé à des mots faisant référence à ses fonctions électives, peut uniquement être enregistré par cet élu». Dans cette hypothèse, la question qui se pose est de savoir comment la notion de «mots faisant référence aux fonctions électives» va être interprétée.
Les juges peuvent appliquer cette disposition de manière littérale, limitant ainsi le nombre de site devant faire l’objet d’une réattribution. Au contraire, les juges pourraient aussi élargir cette notion de «mots faisant référence aux fonctions électives» et affecter, de ce fait, la situation d’un plus grand nombre de noms de domaine.
Ainsi, pour Cédric Manara, professeur de droit à l’EDHEC, il ne sera plus possible de déposer un nom de domaine comme «Ne-votez-pas-pour-Bertrand-Delanoe.fr». à€ cet égard, les nouvelles règles instituées par le décret lui paraissent limiter «l’expression et la critique».
Par ailleurs, s’agissant de la protection accordée aux titulaires de marque, on peut également s’interroger sur la notion «d’intérêt légitime à faire valoir». Ici encore, son interprétation induira le nombre de noms de domaine affectés par ces règles restrictives.
L’interprétation de cette notion revêt une importance particulière étant donné qu’elle pourrait conduire les juges à revenir sur la solution posée par la même Cour d’appel de Paris dans l’affaire «jeboycottedanone». En effet, dans cette affaire, les juges avaient considéré que l’utilisation de la marque, faîtes par un tiers, dans un nom de domaine, se justifiait par l’exercice du principe à valeur constitutionnelle de la liberté d’expression.
Il reste que cette lecture du décret faîte par la Cour d’appel peut toujours être remise en cause par la Cour de cassation.
Auteur :Serge Perrotet
Source LegalBizNext