Alors que MediaPart n’est encore qu’un pré-site, et que nous venons coup sur coup de publier plusieurs révélations, un grand groupe d’édition veut s’approprier MediaPart.fr, le titre de notre journal en ligne. Explications.
J – 44. Ce pourrait être une fable de La Fontaine, mettant en scène un éléphant empressé d’écraser une fourmi. A ceci près que nous n’en connaissons pas la morale finale qui sera écrite par des magistrats. En la personne de son président, MediaPart.fr est en effet assigné mardi 12 février à 12 heures devant le tribunal de grande instance de Paris par la société Média-Participations, immense groupe d’édition d’origine belge. Nous accusant de contrefaçon de marque, elle demande à la justice, par l’intermédiaire de ses avocats, de nous interdire tout usage de la dénomination MediaPart, d’imposer le transfert à nos frais du nom de domaine mediapart.fr à la société Média-Participations et de nous condamner à lui verser un total de 90 000 €. Ce n’est pas indemnité, c’est une rançon.
MediaPart.fr, c’est un projet de journal indépendant et participatif. Juridiquement, c’est un nom de domaine dont nous sommes les détenteurs légaux, l’ayant acheté depuis plusieurs mois dans ses diverses déclinaisons disponibles. Mais, intellectuellement, c’est bien plus : une conception indépendante du journalisme, une vision participative de l’information. Si certains d’entre vous n’apprécient pas la sonorité de ce nom, chacun convient qu’il a le mérite de la clarté et qu’on le mémorise très facilement : MediaPart comme média à part et comme média participatif. Il faut croire qu’à peine énoncée, cette ambition dérange déjà trop, tant les exigences de cet immense groupe d’édition franco-belge sont déraisonnables, intempestives et exorbitantes.
Puisque nous avons dit depuis le début que MediaPart ne serait pas forcément notre nom définitif, nous aurions pu saisir ce prétexte pour changer de nom sans faire d’histoire. Mais, après mûre réflexion, nous nous y sommes refusés. Car nous pensons que, dans cette mésaventure judiciaire qui nous est imposée, ce n’est pas seulement le sort d’une marque qui est en jeu. C’est surtout de savoir si les logiques financières et marchandes peuvent désormais dicter leur loi sur toutes les activités humaines, jusqu’à imposer une privatisation monopolistique des mots, des noms, des idées, des notions et des concepts. Quels qu’en soient les risques et les inconvénients, alors que nous sommes en plein travail sur le site à venir le 16 mars, nous avons donc décidé, avec nos avocats, Maîtres Jean-Pierre Mignard et Emmanuel Tordjman, d’assumer cette bataille. Pour trois raisons.
De bonne foi et dans notre bon droit
D’abord, parce que nous sommes de bonne foi et dans notre bon droit. Il n’y a aucune confusion possible entre MediaPart.fr et Média-Participations. L’un, c’est un journal en ligne d’information générale et participative. L’autre, c’est la holding de tête d’un immense groupe d’édition, qui regroupe plus de quarante marques différentes dans des maisons diverses. Les sites www.media-participations.com et www.media-participations.fr sont des sites d’entreprise, à l’image de dossiers de presse réalisés par des communicants. Aucune information d’intérêt public, concernant la vie de la cité et le sort du monde, n’y est disponible. Aucune intervention participative des lecteurs n’y est possible. On n’y trouve que ce que Média-Participations veut faire savoir sur ses activités, essentiellement dans la bande dessinée, la vie pratique et l’édition religieuse. La seule activité de ce groupe sur le Net est une agence de presse religieuse, I.Média, exclusivement spécialisée sur le Vatican et l’actualité de la Curie romaine.
Ensuite, parce que n’avons pas apprécié la manière, comminatoire et dominatrice, d’un groupe économique puissant qui a une vision oligopolistique de son domaine d’activité. La virulence de sa demande nous a surpris et choqué, nos interlocuteurs étant insensibles à tout argument raisonnable. Ainsi, nous aurions compris, à la limite, qu’on nous demande de changer seulement l’intitulé de notre société, la SAS MediaPart, semblable à celui du site. Si MediaPart.fr et Média-Participations ne sauraient être confondus, tout simplement parce qu’il n’y a aucun site d’information générale s’intitulant ‘ mediaparticipation.fr ‘ (ou .eu, ou .be, ou .com, ou .org, etc.), on pourrait néanmoins admettre, ne serait-ce que pour rire, que la société MediaPart risque un jour de brouiller l’image de la société Média-Participations. Nous étions donc prêts à changer le nom de notre société, bien que ces démarches soient toujours coûteuses.
Mais cette voie de compromis n’intéresse pas nos persécuteurs. C’est à notre site qu’ils en ont, pas à notre société. Ils affirment que leurs intentions sont purement commerciales. Nous sommes prêts à leur faire ce crédit, même si des polémiques passées ont souligné le fort enracinement idéologique, du côté de la droite religieuse, de certains de leurs dirigeants. Mais nous nous interrogeons quand nous nous apercevons que, jusqu’à notre apparition, ils ne s’étaient jamais soucié de ce problème. Il existe en effet un site anglophone à l’enseigne MediaPart.com dont, semble-t-il, ils ne se sont pas inquiétés. Pourtant, c’est aussi un site qui se réclame du journalisme participatif ! De même, ils ne paraissent pas s’être préoccupés de la franche similitude entre l’intitulé de leur agence vaticane I.Média et celle de bien d’autres sites et agences. Tout comme, bien qu’historiquement basés en Belgique, ils n’ont jamais pensé à acheter le nom de domaine mediapart.be qui était disponible et que nous avons acheté quand nous nous sommes arrêtés sur le choix de MediaPart comme possible nom de notre journal.
Des ‘ participations ‘ financières, ce n’est pas un journal ‘ participatif ‘
La troisième et dernière raison de notre détermination à ne pas céder recouvre un enjeu qui va bien au-delà de l’indépendance du journalisme et de la liberté de la presse. Média-Participations est un groupe dont l’objet est de prendre des participations financières et capitalistiques dans des entreprises, aux fins de faire du profit. MediaPart.fr est un journal dont l’objet est de promouvoir un traitement participatif de l’information, en faisant vivre la relation entre lecteurs et journalistes. Le procès qui nous est fait revient à confondre – ou à feindre de confondre – ces deux mots, participations et participatif, alors même qu’ils sont ici définis par des contextes totalement étrangers l’un à l’autre. Il suffit de les taper sur Google qui, après tout, n’est qu’un algorithme qui classe mécaniquement les mots selon leur sens courant, pour voir que l’un, participation (ou participations), renvoie au monde de l’entreprise, de l’actionnariat et de la finance, et que l’autre, participatif, renvoie à celui de la démocratie, du débat citoyen et de la vie publique.
Le monde n’est pas une marchandise : venue de l’altermondialisme, cette formule a heureusement fait son chemin dans les consciences. Et l’actualité financière récente, dévoilant l’irréalité d’une économie-fiction destructrice de richesses, ne peut que conforter cette conviction. La question centrale du procès injuste que nous fait Média-Participations recouvre le même enjeu : les mots sont-ils des marchandises jusqu’à perdre leur sens commun ? L’économie et la finance vont-elles leur imposer leur loi de la jungle, au point de supprimer tout espace de liberté, de conflit et de contradiction ? Car, vraiment, en quoi l’avenir de MediaPart.fr empêchera-t-il les maisons d’éditions contrôlées par Media-Participations de prospérer ? En quoi les auteurs publiés par Dargaud, Dupuis, Desclée ou Fleurus, pour ne prendre que quelques unes des respectables marques concernées, seront-ils pénalisés par notre existence alors qu’ils sont la vraie richesse de ce groupe et qu’ils sont les seuls noms connus par les lecteurs de ce groupe ?
Nous allons donc plaider au fond. Sur les noms de domaine et sur la propriété des marques. Mais aussi sur le droit de l’information et sur la liberté de la presse.
Tous les soutiens sont les bienvenus, notamment dans l’édition et dans les médias. Journalistes, auteurs, éditeurs, nous comptons sur vous. Et, tout particulièrement, sur les dessinateurs, concernés au premier chef par ce zèle dominateur d’un groupe qui est devenu l’un des principaux éditeurs du secteur de la BD. La solidarité de nos abonnés et lecteurs (bientôt abonnés, s’ils ne le sont pas encore !) sera notre meilleur encouragement.
Source mediapart.fr