Aujourd’hui, en quelques clics de souris, vous voilà, l’heureux propriétaire d’un nom de domaine, et les chances d’obtenir la réservation souhaitée sont grandes, vu la multiplication des extensions, la dernière en date étant le .asia. Tout est très simple, comparé au processus d’enregistrement d’une marque où l’appel aux services d’un professionnel s’avère vite indispensable. Mais quelle est la teneur de la protection du nom de domaine, vu la simplicité de sa réservation, cette protection est-elle suffisante et équivalente à celle accordée aux marques, un tour d’horizon des dernières décisions récentes permettra de faire le point.
L’analyse de la jurisprudence permet de constater que le régime juridique du nom de domaine est maintenant établi, les règles prétoriennes ont été élaborées lors des conflits entre marques et noms de domaine. Si la marque s’obtient par le dépôt auprès d’une administration officielle, le nom de domaine s’obtient lui, au moyen d’une simple réservation en ligne. Cette première démarche doit certes être suivie d’une utilisation effective sur un site actif, qui s’adresse aux consommateurs pour leur permettre de comparer les produits et les services proposés, et en cas d’atteinte aux droits d’un tiers, la saisine du juge français, sera possible.
La nécessité d’un site actif
Comme tous les signes qui permettent d’identifier une entreprise : le nom commercial, l’enseigne et le nom de domaine, le droit naît en principe, de l’usage et faute d’usage le droit est perdu et tombe dans le domaine public. L’usage en matière de nom de domaine est constitué pour les juges par l’exploitation, sur un site ‘ actif ‘ : ‘ La protection sur un nom de domaine ne pouvant s’acquérir que par son exploitation, si le site est inactif après le dépôt de la marque il ne pourrait créer une antériorité du nom de domaine. ‘ (TGI Paris 27 juillet 2000 (1) et 9 juillet 2002 (2))
La notion de site ‘ actif ‘ caractérise l’exploitation effective du nom de domaine, est définie de façon négative par les tribunaux : ‘ la seule mise en ligne de l’indication du nom de domaine assortie des références de son propriétaire n’avait pu être considérée comme une exploitation effective. ‘ TGI Nanterre 4 novembre 2002 (3). L’exploitation d’un nom de domaine pour être effective ne doit pas consister en une simple page d’attente mais doit mener sur un site présentant des produits et des services.
Cette nécessité d’un site ‘ actif ‘ pouvait déjà, être déduite d’un arrêt de la Cour de Cassation, de 2005 ‘ La réservation d’un nom de domaine en soi, sans utilisation réelle de ce nom de domaine, ne constitue pas un acte de contrefaçon. Pour être contrefaisant un nom de domaine doit nécessairement correspondre à un site web actif afin que puissent être analysés le caractère similaire ou identique des produits ou services ‘. Et, cette condition d’un site actif a été réaffirmée par un arrêt du Tribunal de Grande Instance de Paris du 6 juillet 2006 (4) ‘ Afin de constituer un droit antérieur opposable, un nom de domaine doit avoir été effectivement exploité, un simple enregistrement étant insuffisant. En effet le risque de confusion ne peut s’apprécier qu’en considération du contenu du site ‘. Dans le cas d’un conflit entre deux noms de domaines ou entre un nom de domaine et une marque, il faut en premier lieu, vérifier que les produits et services proposés sont identiques entre eux, pour se prononcer sur le risque de confusion, or s’il n’y a aucun site actif, la comparaison ne peut se faire et la notion de risque de confusion est inopérante.
La comparaison des produits et services
‘ Si le nom de domaine peut justifier d’une protection contre les atteintes dont il fait l’objet encore faut- il que les parties à l’instance, établissent le risque de confusion que la diffusion du signe contesté peut entraîner dans l’esprit du public ‘ CA Paris 18 octobre 2000 (5). Pour que le risque de confusion soit établi entre un nom de domaine et une marque, il faut que les produits et services proposés soient identiques, similaires ou complémentaires, le jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 28 juin 2006 (6), en donne une bonne illustration : ‘ Si les activités de l’une et l’autre partie ne sont pas directement concurrentes, il n’en demeure pas moins qu’elles s’exercent dans le domaine de l’assistance au développement de l’entreprise. En conséquence, le choix d’un nom de domaine identique pour exploiter un site offrant des services complémentaires est générateur d’un risque de confusion et constitutif de parasitisme. ‘
Certaines sociétés avaient trouvé un biais au principe de spécialité, en enregistrant leurs marques, en classe 38 pour désigner les services de télécommunications, en particulier pour l’Internet. La Cour de Cassation, dans un arrêt du 13 décembre 2005 énonce : ‘ Un nom de domaine ne peut contrefaire par reproduction ou par imitation une marque antérieure, peu importe que celle-ci soit déposée en classe 38, pour désigner des services de communication télématique, que si la nature réelle des produits et services offerts sur ce site sont soit identiques soit similaires à ceux visés dans l’enregistrement de la marque et de nature à entraîner un risque de confusion dans l’esprit du public ; un identique support de diffusion informatique ne saurait pas suffire à lui seul à créer un risque de confusion aux yeux du public. ‘ La Cour de cassation s’en tient donc au principe de la spécialité, le mode de diffusion des produits et services est inopérant, la comparaison doit se faire sur les produits et les services eux-mêmes.
Reste le problème de la territorialité, celui-ci est facilement déterminé en droit des marques du fait des dépôts pays par pays ou par groupe de pays. Qu’en est-il des noms de domaines, la diffusion de l’Internet est globale, certains plaideurs ont demandé aux juges français de se déclarer compétent pour tous les sites accessibles en France.
La compétence territoriale des juges français
‘ Le juge français est territorialement compétent pour connaître d’un litige dès lors que le fait dommageable est constaté dans son ressort ou que les messages sont susceptibles d’y être reçus. ‘ Tribunal de Draguignan 8 avril 1998 (7), tel était l’état de la jurisprudence au début.
Très vite les tribunaux se sont aperçus de l’étendue très vaste de leurs compétences, puisque tous les sites sont accessibles depuis la France. Une condition a été prédéfinie, désormais le juge français a une compétence limité : ‘ Sauf à vouloir conférer systématiquement, dès lors que les faits ou actes incriminés ont eu pour support technique le réseau Internet, une compétence territoriale aux juridictions françaises, il convient de rechercher et de caractériser, dans chaque cas particulier, un lien suffisant, substantiel ou significatif, entre ces faits ou actes et le dommage allégué. Or en l’espèce, force est de constater que le site qui est rédigé en langue anglaise, n’offre aux consommateurs français aucun produit à la vente, les appelants n’allèguent pas que les produits ou services proposés sur ce site aient été effectivement vendus ou exploités en France. ‘ CA Paris 26 avril 2006 (8). Cette jurisprudence a été reprise dans un arrêt du 28 juin 2006 rendu également par la Cour d’appel de Paris (9) : ‘ En raison du mode de diffusion propre à Internet, l’ensemble des sites sont visibles et accessibles depuis le territoire national, de sorte que les actes de contrefaçon allégués par la société X étant susceptibles de causer un préjudice nécessairement subi en France, les juridictions nationales sont donc compétentes pour connaître de l’action engagée par la société intimée, peu important la langue dans laquelle les sites sont rédigés dès lors qu’ils reproduisent les produits argués de contrefaçon revêtus des marques en cause et qu’il est mis à la disposition des internautes des fonctionnalités de traduction. ‘
Pour que le juge français soit compétent, il faut que le site actif soit diffusé en français, soit dans une langue étrangère mais avec des possibilités de traduction en français sur ledit site, il faut que le public français soit visé et que les produits et services soient disponibles à la vente en France.
En conclusion
Il semble que, même si sur certains points le régime juridique des noms de domaine reste encore flou, il a maintenant un statut reconnu par les tribunaux. La marque tient elle, sa force directement de la loi, mais vu sa commodité, le nom de domaine est plébiscité et acquiert chaque jour, une force qui s’impose.
Ryane MERALLI
Avocate
(1) TGI Paris, 27 juillet 2000, Market Call c/ MilleMercis, www.juriscom.net
(2) TGI Paris, 9 juillet 2002, Peugeot c/ Sherlocom, www.legalis.net
(3) TGI Nanterre, 4 novembre 2002, Temesis c/ Association AFAQ, www.legalis.net
(4) TGI Paris, 6 juillet 2006, CDIM c/ Aaassur, inédit
(5) CA Paris, 18 octobre 2000, Virgin c/ France Télécom, www.legalis.net
(6) TGI Paris, 28 juin 2006, BDPME c/ Richard A., www.juriscom.net
(7) Tribunal de Draguignan, 8 avril 1998, Pacanet, www.legalis.net
(8) CA Paris, 26 juin 2006, Normalu c/ Acet, www.juriscom.net
(9) CA Paris, 28 juin 2006, Google c/ Vuitton, www.juriscom.net
Source Village-Justice.com